La vallée interdite (Xinjiang, Chine)


La Chine est un pays centraliste et policier. Elle est divisée en provinces, subdivisées en équivalent de nos départements, arrondissements, cantons et communes (et on pourrait rajouter villages, quartiers, maisons, et carreaux de carrelages). L'accès à certaines communes pour les étrangers est réglementé : il faut un permis et parfois également un guide. Le problème est comment savoir. La police de la capitale de province n'a pas de liste ou de carte des zones ouvertes ou fermées et rien n'est indiqué nulle part.

Ainsi nous sommes arrivé tranquillement à Gongliu, une petite ville de la vallée de l'Ili, dans le Xinjiang, en pensant continuer par petites étapes vers Kuqa puis Kashgar. Après une agréable journée on rentre à l'hôtel. Aussitôt la réceptionniste nous demande en chinois quelque chose qu'on ne comprend pas. Elle sourit, mais en Chine, le sourire peut montrer la gêne, ce qui est le cas ici. Il y a un problème. Dans le dictionnaire, elle montre les mots "trip" et "card" (voyage et carte). On lui montre le passeport et le visa mais ça ne semble pas être ce qu'elle veut. On rejoint notre chambre, croyant le problème résolu, mais ensuite on pense qu'elle demandait peut-être si on avait un permis. Plus tard, vers 22 hrs arrive un homme: il n'est pas en uniforme mais il montre une carte de police. Il ne parle pas anglais et montre les mêmes mots "trip" et "card" dans le dictionnaire. On pense de plus en plus qu'il doit s'agir d'un permis. On n'en dit rien car on sait qu'on pourrait avoir une amende. Il veut confisquer les passeports. On lui fait comprendre qu'on repart tôt le lendemain et qu'il nous les faut, mais il insiste. Bien que il ne soit pas très poli de venir dans une chambre d'hôtel aussi tard, il est resté calme, et il a accepté d'écrire un mot dans mon calepin comme quoi il a pris nos passeports. Il dit qu'il reviendra le lendemain matin à 10 h.

C'est un autre policier qui arrive le jour suivant, et lui non plus ne parle pas anglais. Il repart voyant qu'on ne comprend rien et revient peu après avec le prof d'anglais du coin, qu'il a été chercher à son école. Celui-ci, très souriant, très poli, désolé qu'on ait un problème, nous traduit qu'il aurait fallu un permis pour venir à Gongliu. A la station de police, il regarde longuement chaque page de nos passeports, remplit du papier, et nous pose plein de questions. Ca ressemble à un interrogatoire : "pourquoi êtes vous en Chine, avez vous un permis pour venir à Gongliu, où allez vous ensuite, avez vous des US dollars, un appareil photo... ?" (Bien sûr nous n'en avons pas pour cette occasion....). Le prof d'anglais traduit les questions du policier et nos réponses. En voulant peut-être nous ménager, il traduit qu'on devra payer "a little money", un petit peu d'argent, c'est à dire une amende. On nous remet un livret en anglais et en chinois concernant les réglementations pour les étrangers en Chine. Dans notre situation, il y est question d'une amende allant jusque 500 Yuans : a little money.... Voyant venir les dégâts, je commence à lui expliquer les difficultés du voyage en Chine, dont les chauffeurs de bus qui arnaquent, et aussi les problèmes d'argent. Avec notre carte Visa, on ne peut retirer de l'argent que dans les grandes villes et chaque fois un maximum de 1000 Yuans (ce qui est presque vrai). Si on dépense trop et qu'on a pas assez pour rejoindre la ville suivante, on doit faire du stop et dormir dehors. Le policier fait une petite grimace en écoutant la traduction pendant qu'il continuait à écrire. Dans le livret, on nous montre un paragraphe qui en fait concerne les personnes (par exemple personnel des hôtels) qui ne déclareraient pas la présence d'un étranger en situation irrégulière. La punition est une amende de 500 Yuans maximum ou un avertissement. Le prof traduit qu'on recevra un avertissement et qu'on doit prendre le bus pour retourner à Yining, d'où on était venus la veille. Après avoir passé toute la matinée avec le policier et le prof, on s'en tire donc sans frais et avec un souvenir : cet "avertissement" est un bout de papier avec une étoile rouge et plein de caractères chinois.

De retour à Yining, en bretons têtus, on persiste à vouloir visiter la vallée de l'Ili et on se renseigne au sujet de ce permis à la station de police. Ca ne coûte que 50 Yuans mais la policière qui parle très bien anglais rajoute qu'il faut un guide pour avoir le permis. On lui demande : "mais pourquoi cette région n'est elle pas ouverte ?". Réponse : " parce qu'elle est fermée". On rigole et elle, toujours sérieuse, rajoute "parce vous ne parlez pas chinois, il vous faut un guide". Entendre ça, après tant de temps déjà passé en Chine...! On a dû céder face à tant de stupidité et aller d'une seule traite jusque Kuqa, à grand regret car cette région était très belle.

Alors pourquoi cette vallée est elle donc une zone fermée ? Peut-être à cause des fossés couverts de chanvre indien (cannabis)... D'autres endroits en Chine sont totalement fermés (aucun permis délivré) car les autorités chinoises ont des choses à cacher... J'ai entendu parler de villages du peuple Yi (dans le Sichuan et le Yunnan) qui sont fermés aux étrangers car ils sont jugés trop pauvres. Dans certaines régions peuplées de minorités, le touriste étranger ne doit pas être témoin des tensions entre la police chinoise et la population. Les Ouïgours et les Tibétains nous ont parfois parlé d'exécutions, de prisonniers. Les zones proches de certaines frontières sont également très contrôlées. Deux cyclistes français arrivant du Kirghistan été forcés d'aller en jeep du col du Torugart (frontière) à Kashgar pour 100 US dollars. Ce n'est pas comme au Pakistan : en Chine, la police n'accepte pas de bakhchich (pot-de-vin).

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© Denis LeGourriérec
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